mardi 12 février 2013

30 ans d'expérience de pêche au corail



Voici quelques observations qui m'appartiennent et n'engagent que moi.

Je peux sans crainte de me tromper, après 30 ans d'observations, pouvoir avancer que les larves vivant dans une goutte d'huile (leur servant de nourriture), lâchées en règle générale au mois d'Août (température de l'eau favorable, plancton abondant) par les colonies, tombent non loin de leur lieu de naissance (comme les pommes d'un pommier) et continuent à coloniser la roche.

Quelle roche ?... J'ai vu pousser du corail rouge sur toutes sortes de supports rocheux, mais jamais sur des épaves, très rarement sur des morceaux de poterie antique (amphores dans zones rocheuses, 2000 ans d'âge). J'ai aussi vu des "murs" d'huîtres à grandes profondeurs (80-100 mètres de fond) colonisés par Corallium rubrum
L'observation des roches coralligènes, appelées dans le jargon "roche biscuit" car cassantes, fragiles et colonisées par nombres d'espèces marines (spongiaires, ascidies, gorgones etc...) permet de déduire qu'au fond, c'est la "crise du logement". Chacune de ces espèces n'a de cesse de se fixer, de croître, de se reproduire... survivre à tout prix ! Et bien sûr se nourrir, car je pense que c'est là la clé de tout ; le corail rouge va proliférer où la nourriture qui lui correspond est abondante. 

Les courants marins chargés de plancton et les eaux douces mélangées à l'eau de mer favorisent incontestablement, d'après mes observations, la croissance de cet animal. Celle-ci est d'autant plus accélérée que les courants passant sur la colonie sont persistants et que les polypes peuvent capturer la nourriture.

D'où ma persévérance à accorder, dans un souci de non-profit immédiat, par une pêche sélective, toutes les chances de survie à l'espèce, en laissant toujours quelques branches sur les roches travaillées. Cette cueillette visant à cibler les branches choisies et à les décrocher à l'aide d'une martelette (ressemblant au piolet du géologue), m'a souvent permis de retrouver du beau corail sur les mêmes endroits laissés volontairement en reproduction 3 ou 4 années.

Je pense que la pêche sélective n'est pas nuisible à l'espèce si des "espaces temps" sont respectés pour sa reproduction.

Dans les Bouches de Bonifacio que je connais particulièrement, 70% des roches que j'ai plongé "portaient" du corail rouge.
Les roches de granit sont très aléatoires pour la pêche au corail dans cette zone, seulement 30% de celles-ci environ m'ont donné la satisfaction de pouvoir récolter du corail.
De la même manière, les zones colonisées par certaines espèces de gorgones, vite reconnues dans ces profondeurs, me laissent rapidement prévoir une plongée infructueuse ; certaines éponges parasitant le corail rouge aussi.
Et puis il y a toutes les zones où le corail existe mais est "poreux", colonisé ou plutôt parasité par ce "ver jaune" qui obture le squelette de Corallium rubrum et rend le "minéral" inutilisable en bijouterie car complètement pourri (comme du bois mort tombé dans la forêt) 
Hélas, de nombreuses zones rocheuses sont concernées et j'ai toujours délaissé ces zones car le corail en provenant est absolument déprécié.

Je pense pouvoir affirmer que le corail rouge de Méditerranée n'est absolument pas en voie d'extinction.
J'ai vu des murs entiers remplis de corail rouge et des branches encore par terre, jonchant le sol, mortes naturellement avec leurs extrémités encore vivantes. Des zones où des centaines de kilos vivaient et mouraient naturellement avec bien plus de corail en épaisseur sur le fond que sur la falaise !
 J'ai récupéré en masse ce corail mort pour finalement ne pouvoir, après un tri sélectif, en exploiter que 10% dans le meilleur des cas, à cause des porosités provoquées par les parasites vivant dans la vase ou le sable et qui "mangent" la matière.

Le plus beau corail que j'ai trouvé se situait entre 60 et 90 mètres de fond. Ces mêmes affirmations m'ont aussi été rapportées par Fausto Zoboli, un fameux corailleur italien, qui a un jour trouvé, devant Rome, par 30 mètres de fond, une pellicule de super 8 colonisée par Corallium rubrum, alors qu'une équipe de CineCittà était venu faire un reportage sur lui !

Comme le corail rouge a toujours attiré la jalousie, les convoitises et les controverses, je m'attends aussi à être critiqué sur ce que j'affirme... et serai prêt à m'en défendre :-) ou à partager d'autres instants de communication.

jeudi 7 février 2013



INSOLITE

Comment un client devient un ami ou la fabuleuse histoire des trésors engloutis de la Nossa Senhora Do Monte Do Carmo.

"Fin du XVIIe siècle. La nossa Senhora Do Monte Do Carma, navire de commerce portugais chargé d'assurer la relève et l'approvisionnements de fortins avancés des colonies du Mozambique, navigue au large des côtes Sud Ouest Malgaches. A son bord, sa cale est chargée de nombreuses pièces d'artillerie entassées au fond de la coque pour en assurer la stabilité.
Dans le contexte d'une piraterie largement réprimée et fort de sa confiance en l'équipage et son armement, le capitaine a embarqué dans sa loge plusieurs caisses de pièces d'or et de bijoux, probablement dans le but d'acquérir quelques esclaves et de précieuses denrées.


LE NAUFRAGE

Mais par une nuit sans lune, prise dans un grain particulièrement violent au coeur de l'obscurité, la Nossa Senhora est soudainement projetée contre un haut fond qui perfore sa coque et l'immobilise immédiatement.

Dans une tentative désespérée de désengager son navire, le capitaine ordonne la mise à l'eau de deux canots dont la mission est de transporter les ancres plus au large, afin de hisser le navire hors de son entrave corallienne.
Mais lors d'une manœuvre maladroite du second, la navire s'éventre et coule à pic, emportant dans son naufrage une partie de l'équipage et la totalité de la cargaison.

LA DECOUVERTE DE L'EPAVE

Après avoir sombré dans l'oubli pendant plus de 200 ans, une équipe de plongeurs scientifiques missionnée par l'ONG anglo-saxonne WCS, redécouvre l'épave, immergée par à peine 10 mètres de fond au large du village de Salary , à quelques 100 km au Nord de Tuléar.


Quelques mois plus tard, au début du mois d'octobre 2007, les scientifiques de l'Agence pour la Racherche et la Valorisation Marines, plongent sur l'épave, réalisent de nombreux clichés et collectent quelques échantillons, armés de toute leur détermination.
A ce jour, aucune fouille archéologique officielle n'a été menée sur ou autour du navire qui attend patiemment son heure pour sortir de l'oubli.

DES PERLES DE CORAIL PAR CENTAINES

Ma  première impression en arrivant sur le site a été celle d'un beau bazard, comme si le contenu d'un immeuble de 10 étages avait été brassé et rejeté en vrac sur le récif.
Des canons pêle-mêle s'entrelacent sur une ligne médiane qui semble représenter la cale du navire. Après quelque temps d'adaptation, l'architecture du navire dévoile timidement ses secrets et apparaissent l'emplacement des cabines, des stocks de munitions, des ancres...

Vient alors le moment de prendre les photos. Au bout de quelques clichés, mon collègue m'indique de fouiller le sable et à ma grande surprise, je découvre des centaines de perles de corail rouge, légèrement concrétionnées, mais présentant globalement un bon état de conservation.


Je dépose quelques instants mon appareil photo pour me consacrer, le temps d'une bouteille, à la collecte d'une bonne centaine de perles de toutes tailles, toutes percées et polies, dont certaines gardent encore sur leurs flancs les marques de l'outil de taille.

LA RESTAURATION

A peine revenu à la Réunion, je prends immédiatement contact avec Jean-Philippe Giordano, l'un des derniers corailleurs en activité (une centaine dans le monde), installé à Bonifacio en Corse et qui récolte lui-même le corail qui sera transformé dans son atelier.

Ce passionné m'apprend ainsi que ce corail est originaire de Sicile, dont les fonds marins ont été lourdement exploités au cours du XVIIe siècle.

Sa couleur orangée est d'origine et provient de la nature semi fossilisée du corail qui à dû sublir l'action d'éruptions sous-marines successives avant d'être collecté.

Jean-Philippe investira en tout plusieurs dizaines d'heures, ses 25 ans d'expérience et tout son talent afin de faire renaître du passé l'éclat d'origine de ce joli collier.

DU POLYPE AU COLLIER

D'après une légende grecque, Persée trancha la tête d'une gorgone, la posa sur un coussin d'algues qui fut alors inondé de sang. Celui-ci se pétrifia, et créa ainsi le corail qui bientôt se répandit dans les océans.

Le corail fut aussi durant longtemps l'objet de croyances diverses. Au Moyen-Age on cachait dans sa bourse un morceau de corail, talisman contre la sorcellerie ! On assurait qu'il rendait les récoltes fertiles et éloignait la foudre des bateaux. Considéré par les Tibétains et les Indiens d'Amérique comme une pierre sacrée, il symbolise "l'énergie de la force vitale" et protège du mauvais oeil.

Que demander de plus, pour ces petites perles, que de prendre cette valeur sentimentale que nous pouvons attribuer à certains objets. De symboliser par son histoire et sa couleur mes sentiments les plus sincères."



La mission de restauration accomplie, les petites perles de corail rouge de Méditerranée retrouvèrent une nouvelle vie autour du cou de sa bien-aimée.